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Editorial

Bienvenue sur le site dédié au tourisme surJaverlhac-bourg-vignette

la commune de

Javerlhac et la Chapelle Saint Robert

dans le beau Périgord Vert.

La commune fait partie du Parc Naturel Régional Périgord-Limousin.

Nous vous proposons des chemins de randonnées - le plus ancien est celui dit "de la Pierre Virade". 

Dans le bourg de Javerlhac vous trouvez la mairie, le bureau de poste et de nombreux commerces: 

bar du centre, hotel/restaurant/bar, 3 boulangers, boucher-traiteur, pharmacie, médecin, 3 coiffeurs, superette, 2 garages dont un avec pompe d'essence, plusieurs autres services et des artisans.

Ouverture de l'antenne de l'office de tourisme dans le bourg de Javerlhac

31 square du 11 novembre, 24300 Javerlhac-et-la-Chapelle-Saint-Robert

toute l'année - du mardi au samedi de 9 h à 12 h.

Tel. 05 53 56 12 65

L'emplyée de l'office d tourisme intercommunal vous renseignera avec plaisir.

Sur le territoire de la commune se trouvent 4 monuments historiques!

* le château de Javerlhac du 16e siècle,

* Forgeneuve, le moulin d'un ancien haut-fourneau où l'on forgeait des canons (17e-18e siècle)

* l'église Saint Etienne dans le bourg de Javerlhac (12e, 18e siècle), N'oubliez pas de regarder le clocher tors.

* l'église Saint Robert à la Chapelle St-Robert. Elle date du 12e siècle et a été restauré il y a quelques années.

Hotspot WiFi

devant la mairie (voir aussi l'article détaillé).

Ce site est fait par des bénévoles. Les mises à jour se font suivant nos disponibilités.

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Notes historiques et archéologiques sur le Nontronnais (1866)

Un article de Jules de Verneilh vantant la beauté du Nontronnais, la partie de la Dordogne qu'on appelle maintenant Périgord Vert (terme inconnu au 19e siècle). Première parution: "Annales agricoles et littéraires de la Dordogne [...]" éditeur Aug. Dupont, 1866.


NOTES HISTORIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES SUR LE NONTRONNAIS


Lues par M. J. DE VERNEILH , inspecteur divisionnaire de la société Française pour la conservation des monuments, à la séance des assises littéraires et scientifiques tenue à Nantron le 9 septembre 1866.
Messieurs,
La Société d'agriculture de la Dordogne n'oublie pas que les sciences et les arts sont dans ses attributions , et tout en réservant la plus grande part aux intérêts qu'elle a surtout pour mission de défendre , elle tient cependant à justifier quelquefois la seconde partie de son programme, en organisant des séances littéraires qui sont comme une sorte de prélude à des travaux plus sérieux. C'est îi cette circonstance que je dois l'honneur fort inattendu et tout nouveau pour moi de prendre la parole devant cette nombreuse et brillante assemblée.
Les organisateurs de nos fêtes ont pensé que vous écouteriez avec intérêt, quelques notes concernant l'histoire et les monuments de ce pays dont vous venez constater les progrès et encourager les espérances agricoles, et ils m'ont confié le soin de les rédiger. Il était facile sans doute de choisir un meilleur rapporteur ; je vous assure en tous cas, messieurs, qu'on n'en pouvait trouver de plus dévoué à notre Nontronnais, de plus épris de ses beautés pittoresques et de plus flatté de vous en faire les honneurs. J'ajoute que si la rapide excursion où je vous invite à me suivre, donnait aux hôtes distingués  que notre modeste cité est si heureuse de recevoir, le désir de prolonger leur séjour parmi nous, je croirais avoir atteint le but que je me propose, et que je me consolerais d'avoir accepté une tâche plus disproportionnée h mes forces qu'à mon désir de rester fidèle à des traditions de famille et à de chers et douloureux souvenirs.
À en croire les dictionnaires de géographie, notre chef-lieu serait une petite ville ou simplement un gros bourg, mal bâti, mal nivelé, rempli de tanneries, et faisant, en outre de ses célèbres petits couteaux, un commerce important de bestiaux et de fers. Les plus obligeants parlent de l'affabilité des habitants, et les mieux renseignés, de la beauté des femmes, qui n'obtiendraient cependant, pour parler un langage de circonstance, qu'une seconde Médaille départementale, la première étant réservée aux dames de Bergerac. Tous s'accordent, en constatant la laideur de la ville, k faire l'éloge de ses environs. Pas plus que les autres, les jurys de géographes ne sont infaillibles, ni leurs jugements sans appel. C'est à vous de décider, messieurs, si depuis nos roules et les reconstructions qu'elles ont nécessitées , ce portrait est encore exact, et si les vivantes protestations qui s'élèvent contre la suprématie attribuée k Bergerac ne nous permettent pas d'aspirer tout au moins à un prix ex æquo.
Quoi qu'il en soit, petite ville ou gros bourg, nous avons une histoire, peu connue à la vérité, et nous aurons bientôt un historien; car M. Dessalles, archiviste du département, en rassemble les matériaux et se propose de l'écrire. En attendant ce travail plus complet et plus détaillé, dont il faudra emprunter les principaux éléments aux archives limousines, k cause de notre tardive réunion au Périgord , permettez-moi de vous esquisser, sauf erreur ou omissions, et notre origine et les événements marquants dont notre chef-lieu a été le théâtre.
C'est à sa situation essentiellement militaire, que Nontron doit sa fondation. Le promontoire escarpé formé par la réunion du Bandiat et du petit ruisseau que recouvrent les basses rues, a dû être utilisé de tous temps comme un lieu de défense, et la supposition qu'un camp retranché gaulois ou romain a été remplacé par le château carlovingien, n'aurait assurément rien de téméraire. Quoi qu'il en soit, la première mention qui en est faite se trouve dans un testament de Roger, comte de Limoges, et de sa femme Ëuphrasie (1), qui donnent le 19 mai 78o, le château de Nontron (castrum netroncnsc in lemovicensi pago) aux moines de l'abbaye de Gharroux; 19 ans plus tard, ils y fondèrent un monastère sous le nom de Saint-Sauveur. Vous voyez, messieurs, que nous datons au moins, et très authenti-quement de Charlemagne, et c'est déjà quelque chose.
Vers Tan 1200, les abbés de Charroux cédèrent à leur tour notre châtellenie aux vicomtes de Limoges, auxquels elle était plus utile qu'aux moines poitevins, et qui étaient mieux en état de garder un domaine de ce genre. Mais de Charlemagne à Philippe-Auguste, la possession des abbés de Charroux avait dû être troublée et interrompue plus d'une fois, puisque les chroniques contemporaines rapportent que lorsque Richard-Cœur-de-Lion vint en 1199 châtier le comte d'Àngoulème et le vicomte de Limoges de leur rébellion et s'emparer de leurs trésors problématiques, il se proposait de détruire les châteaux de Châlus, de Nontron et de Piégut, qui appartenaient à ces puissants seigneurs. Chacun sait qu'il trouva la mort devant le premier ; ce qui csl moins connu, c'est que ses troupes le vengèrent en s'emparant du second et probablement du troisième.
L'histoire de ces temps de troubles et de guerres continuelles, allumées par l'humeur aventureuse des princes et envenimées par le génie turbulent de Bertrand de Born , est d'ailleurs fort obscure et souvent contradictoire. Ainsi, Gervais de Cantorbéry, qui cessa d'écrire vers l'époque même de la mort de Richard, se trompe sur le lieu de la scène et place à Nontron ce qui s'était passé à Châlus, en attribuant du même coup et aussi par erreur, je pense, la possession de notre château au comte d'Angoulème. Nous n'abuserons pas de la confusion où est tombé le chroniqueur anglais, et nous laisserons à Ghâlus la gloire d'avoir vu finir sous ses murailles la carrière romanesque du héros de la troisième croisade.
Les vicomtes de Limoges, en recevant le château de Nontron des abbés de Charroux, s'étaient engagés à leur en rendre hommage et à leur donner une redevance annuelle d'un palefroi, dont la valeur fut réglée en 1303 à une somme de 15 livres tournois. Mais cette obligation leur semblant plus lourde à mesure que s'accroissait leur puissance, ils cherchèrent à s'y soustraire, ce qui détermina les moines à céder leurs droits k Philippe-le-Bel en échange d'une rente sur la ville de Charroux.
Cette cession se fit-elle sans résistance des vicomtes ? est-ce sur le roi de France ou sur eux que les Anglais s'emparèrent de Nontron en 1426, et comment h leur tour en sortirent-ils ? Ce sont là des points qu'éclaircira le travail de M. Dessalles. Ce qui est certain, c'est qu'en 1460, nous avions pour dame et maîtresse, Françoise de Bretagne, vicomtesse de Limoges, et qu'entre autres terres, elle apporta en dot à Alain d’AIbret la baronnie de Nontron, qui se composait alors de 22 châtellenies et de 72 paroisses. Alain d'Albret en démembra plusieurs fiefs ; il avait même vendu la seigneurie dominante à Dauphin Pastoureau, par contrat du 10 janvier 1499 et pour la somme de 4,025 livres tournois, ce qui n'était pas payer cher assurément le plaisir de commander h tant de paroisses et de fiefs ; mais le rachat en fut exercé en 1501, et notre seigneur de deux ans, remboursé du prix de cette vente, qui n'était à vrai dire qu'une sorte de prêt sur gage, n^ous remit aux mains des sires d'Albret.
C'est ainsi que nous faisions avec le Limousin et le Périgord partie de la fortune personnelle d'Henri IV, et que nous fûmes réunis à la couronne lors de son avènement au trône. Ce prince populaire avait cependant délaissé en partage la châtellenie de Nontron à sa sœur Catherine de Bourbon, et, de son consentement, il la revendit par acte du 18 août 1600, à Elie de Colonges, seigneur du Bourdeix et de Piégut. De cette famille considérable de notre pays, et éteinte depuis longtemps , elle passa par succession dans la maison de Pompadour, dont la dernière héritière fut mariée au marquis de Courcillon, fils unique du célèbre Dangeau, l'ami et le minutieux historiographe de Louis XIV.
Eloignés de tout, peu abordables faute de chemins, annexés politiquement à la sénéchaussée de Périgueux tout en restant diocésains de Limoges ; n'ayant gardé de notre ancienne importance q’une grande ruine féodale, plus féconde en droits honorifiques qu'en revenus effectifs, il était dans notre destinée de changer souvent de seigneurs. Il m'en reste deux à mentionner : M. de Lavie, président du parlement de Bordeaux, qui acquit Nontron de madame de Courcillon, bâtit le château moderne et ses belles terrasses, et s'empressa de le revendre au comte de Laramière, que représente ici l'excellent et très zélé président de notre comice agricole. Enfin, peu de temps avant la révolution, M. de Mazerat, grand-père de notre honorable conseiller général, était devenu propriétaire du château, qui est encore possédé par son petit-fils, sous la réserve des droits seigneuriaux conservés par M. de Laramière jusqu'en 1789.
A côté de ces transmissions pacifiques de notre baronnie dont on retrouve la trace dans des actes de vente ou dans des testaments, il en est d'autres qui ont eu un caractère plus violent et mieux en rapport avec notre qualité de place forte. Ainsi, pendant les guerres religieuses du xvie siècle, les protestants ou les ligueurs furent tour à tour débusqués de notre donjon, notamment par le duc d'Epernon; et en 1569, Antoine de Larochefoucauld-Chaumont, chef d'un parti de protestants, le prit d'assaut et passa au fil de l'épée sa garnison, composée de 80 hommes.
Telles sont, messieurs, les diverses vicissitudes de Nontron, j'en passe ou j'en oublie probablement bien d'autres; mais en voilà assez pour vous montrer que cette vallée du Bandiat où vont étinceler les feux de Bengale et éclater les fusées, a retenti souvent de bruits plus terribles, et que nos pères ont eu d'autres émotions que celles dont sont agités aujourd'hui les candidats aux primes agricoles. En voilà assez surtout pour vous faire visiter avec fruit les ruines que le moyen-âge a laissées dans notn? enceinte.
Si vous le voulez bien, nous commencerons par le château. Il occupait le plateau triangulaire qui domine et commande le cours du Bandiat, fort resserré en cet endroit. Défendu de presque tous les côtés par des pentes abruptes et par une double enceinte de remparts et de tours carrées à contreforts plats , il était protégé sur le seul point accessible par une profonde coupure creusée dans le roc, sur laquelle s'abattait le pont-le-vis, et s'ouvrait la porte principale flanquée de tours rondes. Un peu en arrière de l'entrée se dressait un énorme donjon cylindrique, et sur l'esplanade du château, une église romane assez vaste, dédiée à Saint-Etienne, servait de chapelle à la garnison, et de paroisse à la partie de la ville qu'on désigne encore sous le nom de Fort. Placé en avant du château, entouré comme lui d'escarpements naturels et de robustes murailles, et séparé de la Grand'Rue par un fossé, ce fort ajoutait ses défenses à celles du château proprement dit, dont il était toutefois indépendant.
De tout cet ensemble de fortifications il reste, hélas ! peu de chose; on peut cependant juger par ses soubassements des énormes dimensions du donjon, et apprécier son appareil en moellons de granit interrompu de distance en distance par des cordons sans saillie de pierre calcaire; système qui rappelle les tours du château d'Angers, cerclées comme le nôtre par des bandeaux d'ardoise. Ce donjon est probablement du commencement du XIIe siècle, et a du remplacer celui que les troupes de Richard avaient détruit. Il est d'ailleurs, quoique plus important, de môme forme et de même style que ceux de Châlus et de Piégut, reconstruits selon toute apparence au môme moment et dans des circonstances analogues. On retrouve en avant, les tours du pont-levis, en pierre de taille, mais grossièrement appareillées et très inférieures comme construction aux quelques débris de l'enceinte romane qui sont encore debout. Du côté des basses rues, un fragment considérable de la seconde enceinte est facilement reconnaissable sous le manteau de lierre qui l'enveloppe, et du côté du Bandiat, un petit bastion avancé flanqué de tourelles , s'accroche au rocher et produit dans le paysage le plus charmant effet.
Il y a une quarantaine d'années, nous aurions eu, messieurs, un champ plus riche à offrir à vos explorations. Le donjon s'élevait alors aune hauteur de 60 ou 80 pieds, deux ou trois des tours carrées de l'enceinte romane étaient à peu près intactes, et enfin l'église Saint-Etienne, notre plus beau monument et le mieux situé, était presque entièrement conservée. Aujourd'hui, on en reconnaîtrait difficilement les débris, dans les façades de notre hôtel-de-ville, bâti sous la restauration avec les matériaux provenant de sa démolition. Plut au ciel que la grand' église eût été alors épargnée ! Réparée, agrandie, elle eut suffi parfaitement aux besoins du culte, et nous n'aurions pas à nous préoccuper d'en construire une neuve à grands frais, sans parler de l'espèce de confusion oii nous sommes, en conduisant des étrangers dans la barraque replâtrée, unique asile ouvert h la prière, dans une ville qui en comptait 4 ou 5 avant la révolution. Nous avions, en effet, indépendamment de l'église Saint-Etienne et de la chapelle Notre-Dame, qui sert actuellement de paroisse, l'église du Moutier, sur la place de la Cahue, dont la façade romane à arcades et à colonnes engagées, ne manquait pas de caractère lorsqu'elle était moins dégradée, et l'église du couvent des Cordeliers, vaste nef du xive siècle, à chevet carré et à contreforts saillants, entre lesquels s'ouvraient de hautes fenêtres à meneaux compliqués.
Ces monastères, qui avaient été au moyen-âge des foyers de civilisation et de lumières, et qui avaient servi de contre-poids à la puissance féodale, devaient rendre, après leur suppression, des services d'un autre genre. Ainsi, les bâtiments des Cordeliers abritent, sous le même toit, la sous-préfecture, le tribunal, la gendarmerie et les prisons. Le collège est établi dans l'ancien couvent des religieuses de Sainte-Claire, et enfin le Moutier, plus modeste en ses destinées, a du se contenter de devenir un dépôt d'épicerie.
Mais, messieurs, parmi tant de changements et de destructions qu'il faut enregistrer et le plus souvent déplorer, ce qui n'a pas changé, et ce dont nous sommes justement fiers, c'est la pittoresque vallée du Bandiat, ce sont nos jardins en terrasse, c'est ce paysage un peu restreint, mais charmant, où se marient et se confondent si heureusement les lignes élégantes et la chaude couleur des collines calcaires, et les sombres verdures du sol granitique. Certes, la silhouette imposante du vieux château, et le clocher de la grand' église, arrêtaient plus agréablement la vue que la banale maison de l'école primaire malencontreusement élevée sur leurs nobles débris, mais on n'avait pas cette route sablée qui serpente à travers les prairies en courbes savantes, et dessine sous nos fenêtres un incomparable parc anglais.
D'autres routes moins artistiques, mais plus utiles, traversent la ville en tous sens. Les rues ont du naturellement s'élargir un peu sur leur passage, et les pentes se sont améliorées, bien qu'elles laissent encore beaucoup à désirer. Cependant le tracé est encore, à peu de choses près, ce qu'il était au moyen-âge, ainsi que l’attestent un certain nombre de maisons anciennes, qui sont restées sur presque tous les points de la ville comme des jalons, et qui prouvent que depuis longtemps nous ne nous sommes guère agrandis. L'une d'elles, médiocre spécimen de la renaissance de François Ier, a gardé le nom de maison de Candale, sans doute en souvenir du séjour que le duc d'Épernon fit dans nos murs.
Je m'aperçois, messieurs, que ma notice, quelque écourtée quelle soit, est déjà bien longue, et que j'abuse de la permission de vous entretenir de choses qui conviendraient mieux à un auditoire d'antiquaires. J'aurai pourtant un nouvel appel à faire à votre bienveillante attention et à voire patience, pour vous promener à vol d'oiseau dans nos environs, et vous signaler , en courant, ce que nous avons de plus remarquable. Si, à Nontron, nous n'avons que des ombres de monuments , l'arrondissement en revanche est d'une grande richesse et d'une variété qui tient à la nature même du sol. Ainsi, en laissant de côté Jumilhac et Lanouaille, trop éloignés de nous, les cantons de Bussière et de Saint-Pardoux, et une bonne partie de celui de Nontron, sont presque entièrement granitiques et d'aspect limousin. Naturellement les monuments s'en ressentent , et il ne faudrait pas leur demander les sculptures et le bon appareil que vous trouverez dans les parties calcaires de l'arrondissement. Aussi est-ce par eux qu'il faut commencer ; vous seriez trop exigeants en revenant de Puyguilhem ou de Mareuil.
En route donc, par la route du Nord. Notre première station sera dédiée au roc branlant de Saint-Estèphe, assez connu pour qu'il suffise de le mentionner, et à son collègue de la Francherie, qui partage avec lui le mérite d'être énorme et de remuer sous une faible pression. Je pense, messieurs, qu'il est inutile de vous rassurer sur le sort de ces monolithes, menacés, il y a deux ans, suivant la rumeur publique, d'aller embellir le bois de Boulogne, et d'y continuer, pour la plus grande joie des promeneurs, les tours d'équilibre qui leur ont valu leur réputation. Leur poids et l'étal de nos chemins les mettent à l'abri d'un pareil voyage.
L'étang de Saint-Estèphe, voisin du roc branlant, mérite une mention à cause de son étendue de 25 hectares. Nous en longerons les bords, plantés de châtaigniers séculaires, pour gagner la tour de Piégut qui se découpe sur l'horizon de la façon la plus romantique. Les lecteurs de Walter Scott songeront involontairement aux lacs d'Ecosse décrits par l'illustre écrivain , et, pour plus d'illusion et de couleur moyen-âge, ils ne larderont pas à découvrir le monastère de Badeix qui se cache humblement dans un pli de terrain. Une grande église de la fin du xir siècle convertie en grenier à foin, des bâtiments du même temps, percés d'étroites fenêtres en plein ceintre au premier étage, et, au rez-de-chaussée, d'arcades alternativement rondes et ogivales ; une salle capitulaire dont les voûtes reposent sur des colonnes monolithes ; un étang entouré de rochers, où se reflètent les sombres murailles de granit; tel est le prieuré de Badeix, qui ne vaudrait pas le voyage, hormis pour des archéologues renforcés, mais qui ne doit pas être dédaigné lorsqu'il se trouve sur notre chemin.
Piégut n'est pas éloigné de là, et sa tour élancée, dominant comme un phare dix lieues à la ronde, est sans cesse entrevue depuis Nontron, parmi les grands bois si communs dans cette contrée. Ce donjon des vicomtes de Limoges, dont j'ai déjà eu l'honneur de vous dire quelques mots, est en lui-môme bien peu de chose. D'un diamètre et d'une élévation très ordinaires, construit de moellons énormes et irréguliers, dont le ciment est tombé, et dont les interstices permettent aux intrépides de grimper jusqu'à la porte d'entrée, c'est-à-dire à six mètres environ, il ferait en plaine peu d'effet. Mais jamais piédestal plus magnifique ne fit valoir et ne supporta une médiocre statue. La colline sur laquelle s'étendait le château, assez important d'ailleurs, à en juger par les substructions éparses çà et là, a partout des pentes très raides, et du côté où elle se rattache au plateau, un amoncellement de roches forme comme une motte naturelle. Il va sans dire que c'est au sommet de ce cône, perfectionné par eux, que les ingénieurs du xiiie siècle assirent leur maitresse tour, et s'ils ne se préoccupèrent alors que de la force de la situation, toujours est-il qu'ils créèrent pour la postérité une ravissante décoration d'opéra. Vous verrez, messieurs, ce joli coin de terre, vous gravirez ces pentes gazonnées d'où s'élancent parmi les blocs de granit les hautes tiges des futaies, et que baignent des eaux limpides, couvertes de nénuphars; vous contemplerez du sommet l'immense horizon qui se déploie de toutes parts et que l'automne va parer bientôt de ses teintes mélancoliques. Alors, si vous êtes poètes, ou artistes, ou antiquaires, vous vous oublierez au milieu de ces ruines, à rêver, à dessiner, ou à prendre des mesures; que si au contraire vous ôtes, ce qui vaut bien autant, des agriculteurs quand même, choisissez un mercredi et allez tout droit au village, vous trouverez à qui parler.
Dans la hiérarchie des foires et marchés, Piégut occupe le premier rang. C'est la gloire du canton, c'est le rendez-vous et le trait-d'union de trois provinces qui y viennent échanger leurs produits; c'est là enfin (sauf votre respect, mesdames) que trône la fine fleur des New-Leicester et des Yorkshire, unie aux races périgourdines, dans un grognement fraternel... mais ce n'est pas votre affaire ni la mienne; je laisse à de plus autorisés et de plus compétents le soin de célébrer demain, comme ils le méritent, ces précieux éléments de notre prospérité agricole, el de tresser des couronnes à leurs triomphants embonpoints.
Je ne ferai pas d'agriculture non plus, en traversant les champs, si bien cultivés pourtant, de Puycharnaud. Je vous signalerai seulement son grand château des xvie et xviiie siècles, flanqué de deux grosses tours rondes, et coupé, au milieu, par un pavillon carré à mâchicoulis. Situé sur une colline qui domine des étangs et des prés, encadré par d'épaisses touffes de marronniers, il a, vu de la route, un aspect imposant.  La construction se ressent bien un peu des rudes matériaux du pays, mais ce défaut s'efface k distance, et pour ceux qui s'approchent davantage du vieux manoir, et qui en franchissent le seuil hospitalier, j'affirme qu'ils ne songent plus aux imperfections de notre granit et à l'inexpérience de l'architecte.
Encore quelques kilomètres , et nous sommes à Bussière-Badil, chef-lieu de canton, mais très effacé par Piégut, qui n'est pas même un chef-lieu de commune. Il y avait là cependant une abbaye importante, aujourd'hui détruite, et une immense et belle église romane, à portail couvert de sculptures, à nef voûtée en berceau, à doubles bas-côtés terminés comme la nef par des absides arrondies ; un vrai monument, en un mot, digne par son plan, par ses dimensions et par les sculptures de la façade et des chapiteaux, d'être cité dans le dictionnaire d'architecture de M. Viollet-Leduc, comme une des dix églises les plus remarquables du département. Mais, le courant n'est plus de ce côté et le marché de Piégut a des attractions plus irrésistibles que cette vénérable basilique, belle encore malgré son état de dégradation.
On peut rentrer par Varaignes et Javerlhac en négligeant les donjons ruinés de Champniers et du Bourdeix, et les fourneaux éteints de la forge d'Etouars. À Varaignes la nature change, les bois disparaissent pour faire place h la vigne, nous sommes en plein pays calcaire : aussi, trouvons-nous dans la cour du château deux échantillons finement traités du dernier style gothique et de la seconde renaissance. Cette terre considérable appartenait anciennement à la maison de Lavauguyon, et, au moment de la révolution, à MM. de Montcheuil.
Avant d'arriver à Javerlhac, le logis noble, à mâchicoulis et à fenêtres en croix, de la forge de la Chapelle, prouve que l’industrie des fers du Bandiat, si compromise de nos jours, était prospère autrefois et qu'on ne dérogeait pas h l'exercer. Le château de Javerlhac, siège d'un marquisat de la famille Texier, possède encore deux tours crénelées, de jolies lucarnés sur le toit, et un corps-de-logis du temps de Louis XII, qui ont un peu souffert des remaniements modernes, mais qui formaient, avec le pont ogival et l'église, un ensemble très pittoresque.
Ici, messieurs, vous avez le choix, ou de regagner Nontron par la route nouvellement ouverte dans la vallée du Bandiat, en saluant au passage les constructions neuves et les cultures savantes de Jommelières, l'église ruinée du Petit-Saint-Martin et la tour de Montcheuil, entrevue derrière un rideau de peupliers, ou de vous acheminer avec moi vers Mareuil, par un chemin qui n'est pas précisément le plus court. Vous traverserez dans ce second itinéraire, en zigzags, le petit pays arrosé par la Lisonne et qui en a pris le nom. Vous verrez sur notre route tous ces castels encore habités, qui donnent à cette partie du canton de Mareuil une physionomie aristocratique et en font comme la rue de Varennes de l'arrondissement. Puychenil qui, sous une intelligente direction, répudie les routines agricoles et reprend son ancien caractère architectural ; Bernardières, qui a perdu le sien et ne rappelle guère la forteresse assiégée par Duguesclin; les Combes, charmante villa de la renaissance; La Rousselière, Connezac, dont le propriétaire attache autant de prix à conserver les traditions de l'antique hospitalité périgourdine, qu'à être un de vos lauréats habituels ; Bellussières, Àucors si heureusement perché au haut d'une falaise; Saint-Sulpice, Àmbelle, et tant d'autres dont le nom m'échappe; voilà autant de haltes, et, si le temps me le permettait, de descriptions, avant d'aborder celle du grand et beau château de Mareuil, suzerain de la plupart de ces fiefs.
Par une exception assez rare en Périgord, il s'élève dans une plaine marécageuse, ce qui ne nuisait nullement d'ailleurs à sa force. Entouré de fossés profonds qu'alimentent les eaux de la Belle, formant un vaste quadrilatère irrégulier, flanqué à l'angle nord-est d'une haute tour carrée, et aux autres de tours rondes; défendu du côté de la porte d'entrée, qui s'ouvre entre deux autres tours, par un bastion élevé et par une double enceinte, il était moins pittoresque que ses rivaux de Bour-deilles, de Biron et de Beynac, mais tout aussi redoutable. Il n'avait, au surplus, rien à leur envier pour la beauté et la solidité de la construction , et ses murs, entièrement en pierres de taille, sont toujours d'un aplomb irréprochable, malgré leur état d'abandon. Il y faut signaler des décorations flambloyantes sculptées dans les appuis des fenêtres, des mâchicoulis et des lucarnes d'un bon dessin, et une petite chapelle à voûtes sur nervures et à tribune seigneuriale, blasonnée du lion des premiers barons, qui méritait un sort meilleur. C'est maintenant une porcherie.
Mareuil fut le berceau d'une illustre maison, qui s'éteignit au xvie siècle, par le mariage de son héritière, Gabrielle de Mareuil, avec Nicolas d'Anjou, marquis de Mézières. C'est aux soins de cette grande dame, dont la fille unique épousa à son tour, en 1563, François de Bourbon, prince Dauphin d'Auvergne, que le célèbre historien de Thou, abandonné des médecins L'I de ses parents, dut la vie dans une maladie qu'il eut étant enfant ; il mentionne le fait avec une reconnaissance que doivent partager les amis des lettres. Un souvenir bien glorieux se rattache au nom de Mareuil. Trois frères de cette maison combattaient à la bataille de Bouvines, et l'un d'eux, Hugues, fit prisonnier le comte de Flandres, service signalé que Philippe-Auguste récompensa royalement par le don de la seigneurie de Villebois en Angoumois. Disons enfin que les Talleyrand ont été les derniers barons de Mareuil, et que M. le duc de Périgord en est actuellement propriétaire.
J'ai hâte, messieurs, d'arriver à la partie vraiment artistique de notre voyage, et je vous mène sans perdre haleine aux vallées de la Drône et surtout de la Côle. Dans la première, que nous remontons, nous ne nous arrêterons ni au joli portail de l'église de Champagnac, ni au château de Vaugoubert, magnifiquement restauré et perfectionné par un homme d'initiative et de goût, que notre pays est heureux d'avoir enlevé à une province voisine, ni aux ruines byzantines de l'abbaye de Boschaud, ni aux dépendances monumentales de Lâge, qui annoncent les splendeurs du château projeté. Mais nous ferons, s'il vous plaît, une courte visite à la Renaudie. Peu d'instants suffisent d'ailleurs pour prendre un croquis du manoir du chef de la conjuration d'Àmboise. Son corps-de-logis à pignons aigus, accosté au levant de deux grosses tours éventrées, et au couchant d'une tour d'escalier octogone presque détruite; en avant une cour fortifiée oii se trouvaient les écuries et la chapelle voûtée; quelques moulures prismatiques aux fenêtres et aux montants de cheminées, et quelques rares sculptures qui accusent la fin du style gothique, voila la Renaudie. Un paysage sévère, malgré le voisinage de la Drône, et très en harmonie avec les souvenirs qu'elles réveillent, encadre ces ruines, qui ne furent pas cependant une conséquence de la rébellion de Jean du Barry, puisque le château était encore habitable au moment de la révolution. Il appartenait alors à la maison des Cars.
Puyguilhem demanderait plus de détails, mais il en faudrait trop, pour analyser ce merveilleux château, construit avec amour vers 1520 par M. de la Marthonie, premier président des parlements de Bordeaux et de Paris sous François Ier, et passé depuis par héritage dans les maisons de Rastignac et de la Rochefoucauld. Jamais le ciseau des artistes du xvie siècle ne tailla de plus merveilleuses arabesques, jamais fantaisies plus capricieuses ne se déroulèrent sur les murs d'un palais. C'est là qu'il faut étudier la vieille verve française inspirée par l’éiude de l'art antique, c'est là qu'il faut saluer un des bijoux de la renaissance et faire des vœux pour que son noble possesseur arrête les ravages que le temps apporte à des œuvres si délicates, en continuant la restauration commencée par la marquise de Rastignac.
Pour être plus vieux de cinquante ans que Puyguilhem, la Chapelle-Faucher est en bien meilleur état; pas une moulure n'a été ébrèchée, pas une sculpture endommagée; tout est ancien et intact, depuis les hautes toitures jusqu'au portail fortifié de la cour et aux gros clous saillants qui renforcent ses madriers de chêne. Les occasions de ruine ne lui ont pourtant pas manqué. Mentionné par Montluc dans ses mémoires, pris par l'amiral Coligny qui y fit massacrer de sang-froid, au dire de Brantôme, 260 paysans qui s'y étaient réfugiés, assiégé pendant quatre jours, au temps des guerres de la Fronde, par une troupe de 400 hommes fournie par le marquis de Sauvebœuf, gouverneur de Nontron, et accrue de la noblesse du voisinage, il est merveilleux qu'il n'ait pas plus souffert. Comme dans presque tous les manoirs périgourdins d'un certain ordre, les inévitables tours rondes aux angles et la tour polygonale de l'escalier le fortifient et le décorent. Une particularité, c'est qu'ici les trois tours sont sur la même façade, et il résulte de leur rapprochement un effet nouveau et original. Ce beau château, que couronne une ligne non interrompue de mâchicoulis et d'élégantes lucarnes sur le toit, est situé de la plus heureuse façon sur un rocher à pic qui domine le cours de la Côle. ïl fut porté dans la maison de Chabans en 1516 par le mariage de Charles de Chabans avec Marguerite de Farges, et depuis lors il n'a plus changé de maîtres. Décidément, messieurs, nous sommes trop riches. Je comptais vous entretenir de Bruzac, magnifique ruine féodale des Flamenc, qui fait à une faible distance le pendant de Lachapelle-Faucher, dont elle est à peu près contemporaine ; de la belle église à coupoles 5e Saint-Jean-de-Côle, de son cloître et de son château, qui porte le nom des anciens seigneurs, les Lamarthonie. Je voulais, au retour, vous arrêter à Saint-Pardoux, devant l'abbaye de dames fondée en 1291 par Marguerite, fille du duc de Bourgogne, et qui compta parmi ses abbesses une fille du sang royal. Si votre courage n'avait pas été épuisé, nous aurions pu, en remontant le cours de la Drône, admirer la cascade tout-à-fait pyrénéenne qu'elle forme au Saut-du-Chalard. Nous aurions recherché à Romain les traces de la villa antique qui lui a donné son nom. Au modeste castel du Verdoyer, plusieurs d'entre vous auraient vu avec intérêt le lieu où naquit le marquis de Monéys, si cher il y a vingt ans à la société de Périgueux. À Lamalignie, belle demeure moderne qu'entourent de riantes corbeilles de fleurs, vous auriez été frappés du contraste qu'offrent les élégances et les recherches de la vie parisienne, implantées tout à coup au milieu des taillis limousins , et enfin les ruines de Lambertye vous eussent rappelé le nom d'une famille que le Périgord peut revendiquer comme une des plus anciennes et des plus distinguées.
Mais c'est assez parler de ces innombrables tourelles qui hérissent de leurs pointes aiguës les coteaux du Nontronnais. Ayant entre elles de frappantes analogies, elles finissent par rendre singulièrement ingrat le rôle que j'ai accepté, et je crains que leur description ne vous ait paru déjà bien fastidieuse. Je voudrais, messieurs, pour donner plus d'intérêt à la dernière partie de mon travail, vous raconter sommairement quelques-unes des individualités originales qu'a produites notre pays.
Il existe certainement de grandes affinités entre les hommes et le sol qui les a vus naître. C'est une vérité banale que chacun de nous a souvent constatée. De là, suivant la configuration d'un pays, suivant sa température ou ses produits, certaines aptitudes, certains instincts particuliers à ses habitants; il est évident que l'air des montagnes trempe les hommes autrement que celui des plaines, et leur donne d'autres qualités physiques en influant aussi sur leur moral.
En Périgord, dans cette contrée accidentée et riante oii la douceur du climat et les productions variées de la terre rendent la vie facile, les habitants ont toujours été, à ce que j'imagine, un peu amis du far-niente, un peu viveurs, plus soucieux de briller et de jouir que de conserver leur patrimoine. Mais, ce qui rachète cela, d'une bravoure à toute épreuve, et d'un esprit de bon aloi, oii l'élément gascon est corrigé par le bon sens limousin. Ce dernier mérite nous a valu des gloires littéraires. C'est à nos défauts, et aussi h notre courage, que nous devons les existences aventureuses et pittoresques dont je vais vous citer les exemples les plus marquants, en attendant qu'elles inspirent la verve d'un romancier.
D'abord, c'est Cairadin-Barberousse, ce cadet de la maison d'Authon, apanage par sa mère, Marguerite de Mareuil, des terres de Bernardières et des Combes. Après une jeunesse orageuse, il s'associe un de ses amis, met plume au vent, s'en va chercher fortune sur les mers, revient riche, bâtit le château des Combes, puis se ruine de nouveau et reprend le cours de ses caravanes. Tantôt chef de corsaires, tantôt pacha, peu scrupuleux comme on voit, ce qui ne l'empêche pas de rapporter, à sa paroisse de Champeaux, une prétendue coiffe de la Sainte-Vierge qu'il donne ensuite à Saint-Front de Périgueux en échange d'un sépulcre fort beau dont il ne profite pas et qui fut détruit par les protestants. Brantôme raconte en détail cette amusante et fabuleuse histoire que j'analyse pour vous, sans en garantir plus que lui la véracité. Il ne sera pas damné qui la croira ou la décroira.
Puis vient La Renaudie, gentilhomme de bon lieu, homme de tète et d'exécution, dont les commencements ne sont pas irréprochables, mais qui vaut mieux que l'idée qu'on s'en fait généralement. Dans un procès avec le greffier Du Tillet, du parlement de Paris, relatif à la revendication de certains bénéfices ecclésiastiques, il produit, à son insu peut-être, des pièces fausses, et il est pour ce fait condamné au bannissement. Son esprit s'aigrit dans l'exil, son protestantisme s'exalte au contact des puritains de Lausanne ; il brûle d'effacer, par une action d'éclat, la honte que sa condamnation a attachée à son nom. À l'expiration de son exil, il rentre en France. Sa capacité politique et militaire le fait choisir pour commander les conjurés qui veulent détruire la puissance excessive des Guise et rétablir l'autorité royale ébranlée par leur ambition. Dessein qui n'avait rien de coupable et qui, repris par Henri III,  fût moins honorablement exécuté. Il ne manqua aux nobles complices, venus de tous les.points de la France avec une admirable précision, et à leur chef, que de réussir, pour se faire dans l'histoire une place brillante. Un grand nom, celui du prince de Condé, frère du roi de Navarre, se cachait derrière La Renaudie, mais ne lui a pas enlevé, aux yeux de là postérité, la responsabilité de son entreprise. Vous savez, messieurs, comment les révélations d'un traître (il s'en trouve toujours) apprirent aux princes Lorrains le danger qui les menaçait, et quelles mesures énergiques ils prirent pour le conjurer. Jean du Barrv fut tué, du moins comme un soldat, les armes à la main, mais la vengeance de ses ennemis s'exerça sur son cadavre, et ses compagnons, moins heureux que lui, furent traités avec une rigueur qui donne la mesure de la crainte qu'ils avaient inspirée.
Après cet ennemi des Guise qui faillit être un grand homme, voici un de leurs fidèles courtisans qui appartient, lui aussi, au Nontronnais, ne fut-ce que par le château qu'il y avait élevé et où il est enseveli. Vous avez nommé Brantôme. C'est à Richemont qu'il composa les dix volumes si amusants et si singuliers qui ont donné à son nom déjà illustre plus de notoriété que tous les exploits de ses pères. C'est dans cette retraite, un peu surfaite par sa vanité, et qu'on n'appellera pas la retraite du sage, qu'il retraçait les souvenirs de sa vie, et quels souvenirs parfois ! C'est là qu'il racontait à sa manière les hauts faits des grands capitaines du xvie siècle, les beaux coups d'épée des rodomonts et les prouesses des belles et honnêtes dames ; c'est là enfin qu'il se consolait dans sa vieillesse des injustices de la fortune par des traits lancés à ses compagnons plus favorisés. Il avait pourtant bien couru le monde. À Malte , en Italie, en Portugal et jusqu'en Ecosse, il s'était trouvé à bien des sièges elt rencontres, il avait comme un autre essayé maintes arquebusades …     Pourquoi n'a-t-il pas mieux réussi à cette cour des Valois, où il comptait d'illustres parentés et des patronages princiers? Comment de ses caravanes lointaines, complaisamment décrites par lui, n'a-t-il rapporté qu'une croix portugaise, l'habito de christo , et quelques rapières ou rondaches appendues aux murs de son cabinet ? C'est ce qu'il est aisé de deviner en lisant ses œuvres. On n'est pas si médisant dans ses écrits sans l'être dans ses paroles, et il est à croire qu'après avoir charmé les grands par son esprit, notre voisin se les aliénait par de sanglantes malices.
Maintenant, messieurs, voulez-vous des courtisans plus favorisés et des aventures à dénouements imprévus? Voici deux cadets de haut lignage, originaires de notre province, qui ont eu l'étonnante fortune d'épouser des princesses du sang royal, et, qui pis est, de les traiter en simples mortelles. C'est d'abord le duc de Lausun, de la maison de Caumont, dont le mariage avec la grande Mademoiselle, fille de Gaston, lui valut l'honneur, chèrement payé, de devenir le cousin-germain de Louis XIV, et inspira la lettre si connue de Mme de Sévigné ; et comme pendant, vient ensuite son neveu et son élève le comte de Rioms, cadet d'Àydie qui, sans fortune et sans beauté, trouve le moyen de se faire follement aimer de la duchesse deBerry, fille du Régent, et rendit nécessaire une union peu enviable d'ailleurs, à en croire Saint-Simon.
Le grave historien de Thou remarque, à propos de la quantité de noblesse que renfermait le Périgord et de la difficulté qu'elle éprouvait à y vivre, que toutes les conjurations qui suivirent celle de La Renaudie ont eu pour chefs ou pour principaux acteurs des Périgourdins. Nous calomniait-il alors? Je l'ignore. Toujours est-il que son observation, juste ou non au xvie siècle, s'applique parfaitement aux siècles suivants.
Ainsi, sans compter le maréchal de Biron, que ses glorieux services  auraient dû, sinon absoudre, du moins préserver, du dernier supplice, sous le règne de Richelieu, l'infortuné prince de Chalais expie cruellement la faute, si c'en était une, d'avoir conspiré contre le tout-puissant cardinal, et sous la régence, le comte d'Àydie nous fournit un nouvel exemple. Compromis dans la conspiration de Cellamare, il est prévenu à temps, se sauve sur un cheval que le marquis de Saint-Àulaire, son proche parent, avait tenu à sa disposition , et arrive sans encombre en Espagne. Mais cette fois du moins, voilà un conspirateur heureux (on en a vu depuis bien d'autres!). La cour d'Espagne, et c'était justice, l'accueille à bras ouverts, il y occupe des charges importantes; et, en fin décompte, après quinze ans d'un exil qui n'avait rien que de fort doux, il rentre dans son pays, la tête haute, riche, considéré ; il bâtit près de nous le château de Vaugoubert, et il y finit sa vie en grand seigneur.
Nous ne conspirons plus, messieurs, du moins que je sache ; mais Thumeur aventureuse est restée, et le goût des entreprises et des voyages se retrouve encore à un haut degré parmi nous. Sans parler des couronnes éphémères de Madagascar ou de l'Àraucanie, combien en pourrait-on compter, rien qu'en Nontronnais, de ces revenants des plages lointaines, qui n'en rapportent le plus souvent que des désillusions? HélasI il est donné à bien peu d'amonceler des millions comme le périgourdin Stephen Girard …    Les vraies richesses, il n'est pas besoin de les aller chercher si loin, nous les avons sous la main; notre sol généreux les fournit à qui sait les lui demander, et la vraie sagesse consiste à mieux planter nos choux. C'est à vous, messieurs , de nous enseigner les bonnes méthodes, et de nous montrer qu'à côté du profit, la considération et l'honneur qui s'attachent à vos récompenses peuvent encore satisfaire ce besoin de distinction et de gloire qui est resté l'apanage de nos concitoyens.
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Jules de Verneilh.

Note
(1) La plupart des faits historiques concernant Nontron sont empruntés a Y Histoire d'Aquitaine de M. de Verneilh-Puyraseau et a un mémoire de M. Grellet-Dumaseau, sur la mort de Richard-Cœur-de-Lion, publié dans le Bulletin de la Société Archéologique du Limousin.


Date de création : 06/06/2018 ! 16:44
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